, Grenoble, Lyon, Nantes, Paris… bientôt sans pub

Un pas, une pub. Deux pas, encore une pub. Ici une nouvelle télévision « merveilleuse », là-bas un abonnement numérique « imbattable ». Dans les transports, un voyage, un parfum. Au feu rouge, une bière à la robe brune « élégante » et une voiture « plus intelligente ». Et devant un monument en rénovation, l’échafaudage est aux couleurs d’un téléphone prétendu « révolutionnaire ».

Comment se débarrasser de la publicité dans les villes ? Comment agir de sorte que les allées et venues des citoyens ne soient plus entravées dans l’espace public par des incitations permanentes à la consommation ? Et ce au moment même où les appels à la sobriété énergétique se multiplient ? De Grenoble à Lyon, en passant par São Paulo ou Canberra, les grandes villes ont lancé une myriade d’initiatives concrètes, signe d’une prise de conscience récente sur ces enjeux.

À Paris… d’ici à 2026

Dans cette lutte pour un espace public sans publicité, Grenoble fait figure de pionnier : dès 2015, la nouvelle équipe municipale écologiste interdit l’affichage commercial. En termes d’urbanisme, cela se traduit par le retrait de 326 panneaux, dont 227 « sucettes » publicitaires, 20 colonnes, et 64 grands panneaux de 8 m2, libérant 2 000 m2 d’espaces publicitaires.

Ces derniers ont été remplacés par la plantation d’arbres et 300 points d’affichage libre. À l’époque, le maire EELV, Éric Piolle, indiquait, conformément à ses engagements de campagne, qu’il ne renouvellerait pas le contrat liant Grenoble au groupe d’affichage et de mobilier urbain JCDecaux. Au fil des années, la démarche politique s’est poursuivie, avec la mise en place de la fin de l’éclairage nocturne publicitaire, la suppression des publicités en toitures et le retrait de tous les panneaux de 8 et 12 m2. « La publicité est désormais bannie sur 90 % du territoire de la commune de Grenoble », s’enthousiasme l’édile, soulignant le combat de la ville contre le « consumérisme ». Sur le même modèle, à Lyon, une réflexion a été menée, qui devrait aboutir à la réduction de 60 à 90 % du nombre de panneaux d’ici à 2026. Dans un autre registre, à Nantes, les voitures des tramways ne comportent plus d’affiches commerciales.

Une manne pour les communes ? C’est relatif

Mais la limitation de la publicité, qui est une source de recettes pour les collectivités, a évidemment un impact économique. Dans un entretien à l’AFP publié en 2020, la maire de Paris, Anne Hidalgo, soulignait les problèmes financiers liés à sa suppression : « Si je pouvais me passer de publicité, je le ferais volontiers, mais je n’ai pas encore trouvé la solution magique pour effacer 40 millions d’euros de recettes du budget de la ville, à un moment où on a été très ponctionnés par l’État. »

Un chiffre que l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP) relativise toutefois : « 40 millions ce n’est que 0,5 % d’un budget qui se chiffre à 8 milliards d’euros par an. » Son porte-parole, Thomas Bourgenot, développe : « La publicité rapporte de l’argent aux municipalités, mais les recettes n’excèdent pas 1 % de son budget. En revanche, le prix des addictions à l’alcool, aux paris sportifs ou à la malbouffe représente un coût important pour la société. Sans parler de la voiture ou de l’avion qui participent au réchauffement climatique. »

Depuis, les débats ont évolué dans la capitale. Comment limiter la publicité commerciale sans nuire aux finances publiques ? Ce sujet a été abordé en novembre 2023 en séance du Conseil de Paris. La ville souhaite désormais réduire drastiquement la présence de la publicité dans l’espace public, d’ici à la fin du mandat d’Anne Hidalgo, prévu en 2026. « Il y a un sentiment de saturation dans la population, observe Emmanuel Grégoire, premier adjoint socialiste. Nous souhaitons donc réfléchir à la place de la publicité dans la société, à la façon de la rendre plus éthique, moins agressive. Nous ne voulons pas de publicité écocide ou sexiste. »

Il s’agit aussi de privilégier l’information citoyenne, d’opinion et la créativité. À Lyon, deux stations de métro seront bientôt habillés par des œuvres d’art.

L’exécutif municipal s’engage aussi à réviser le règlement local de publicité (RLP). Il promet d’ores et déjà de ne pas toucher à la pub finançant les Abribus et kiosques à journaux, au nom de la préservation du service public. « Nous voulons désencombrer l’espace public des panneaux publicitaires, détaille l’élu. Mais il ne faudrait pas que, dans le même temps, la publicité se multiplie sur les espaces privés, comme ces écrans numériques posés sur des vitrines qui incommodent le voisinage la nuit venue. La loi climat et résilience permet aux villes de les réguler en imposant notamment des horaires d’extinction des écrans. Nous comptons le faire avec le nouveau RLP. » Un débat citoyen se tiendra courant 2024 dans la capitale.

Choisir à défaut d’interdire

En réduisant la pollution publicitaire, les municipalités entendent rompre avec les schémas de surconsommation. « On nous fait des discours sur la sobriété et, dans le même temps, on laisse la publicité nous vendre des voitures, des voyages en avion… Il faut supprimer ce qui consomme inutilement de l’énergie et les panneaux numériques en sont un très bon exemple », argumente Philippe Guelpa-Bonaro, vice-président de la Métropole de Lyon, chargé du climat et de la réduction de la publicité. Mais, au-delà, en poussant à la réappropriation de l’extérieur, les élus investis sur ces dossiers revendiquent aussi de privilégier une information citoyenne, d’opinion, tournée vers les habitants et la créativité. « En 2021, on a fait appel à un collectif de graffeurs urbains pour remplacer un gros panneau publicitaire. Et deux stations de métro seront bientôt habillées par des œuvres d’art », expose Philippe Guelpa-Bonaro.

Bien qu’ambitieuse, la suppression de toutes les publicités en ville n’est pas possible en l’état actuel du droit. En effet, l’article 1 du Code de l’environnement assure la liberté d’expression et protège donc les affichages aussi bien commerciaux que politiques. Une collectivité peut renégocier les contrats d’affichage publicitaire lorsqu’ils arrivent à échéance, mais elle n’a pas le pouvoir d’interdire les affichages, notamment dans les vitrines de magasins ou dans les commerces de proximité.

« C’est possible de changer la législation, tout est une question de volonté politique, considère David Cormand, député européen EELV et auteur de l’ouvrage « Temps de cerveau libéré : en finir avec la publicité » 1. On peut aussi décider du type de publicité qu’on souhaite voir. Il est tout à fait possible de se passer d’affichage incitant à la surconsommation et de privilégier les affichages des kiosques à journaux sur la presse. » Mieux choisir l’affichage commercial, privilégier les contenus culturels et solidaires, limiter les écrans numériques… Autant de défis qui entrent en résonance avec les souhaits des Français : selon un sondage BVA publié en 2022, 54 % des personnes interrogées plébiscitent l’interdiction de la publicité lumineuse dans l’espace public.

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