, François Gemenne : «Un quart de la population française s’imagine en situation de migration climatique»

En 2024, Libé explore la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous gratuits et grand public. Objectif : trouver des solutions au plus près des territoires. Troisième étape de notre seconde édition : Grenoble, les 4 et 5 octobre. Un événement réalisé en partenariat avec la métropole de Grenoble et avec le soutien du Crédit coopératif, le groupe Vyv, l’Agence de la transition écologique (Ademe), la Fondation Jean-Jaurès, Oxfam, Greenpeace, le magazine Pioche ! et Vert le média.

Où vivrons-nous demain ? Inondations, sécheresses, hausse du niveau des mers… En 2023, le changement climatique a engendré plus de 26 millions de déplacements, et pourrait, d’ici à 2050, contraindre 216 millions de personnes à quitter leur foyer. La France ne fait pas figure d’exception. L’outre-mer fait partie des territoires les plus vulnérables aux risques de submersion côtière, comme la façade atlantique. Les grandes villes sont, elles, de plus en plus étouffantes. Des phénomènes qui rejoignent le concept même d’habitabilité de la Terre : une terre vivable, capable d’accueillir des habitants et d’abriter de la vie. Mais certaines zones du monde, et de notre territoire, le pourront-elles encore dans les années à venir ? Migrer, n’est-ce pas finalement le meilleur moyen de s’adapter ?

François Gemenne, 43 ans, est professeur à HEC, directeur de l’Observatoire Hugo à l’Université de Liège et auteur du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Il est le grand spécialiste de la migration climatique et des enjeux d’adaptation. Magali Talandier, 49 ans, est quant à elle professeure des universités à l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine de l’Université Grenoble Alpes. Elle étudie notamment les impacts du changement climatique et de la transition écologique à l’échelle locale. Entretien croisé.

Les migrations climatiques existent aussi chez nous, en France. Pourquoi a-t-on le sentiment que cela ne nous concerne pas ?

François Gemenne : On a toujours mis une grande distance entre nous et les impacts du changement climatique : on les voit dans des pays du Sud «un peu exotiques», aux confins de l’Alaska, aux Etats-Unis, ou dans des Etats insulaires du Pacifique. Aussi et surtout, on en parle volontiers comme d’un risque futur – c’est là le danger – mais sur lequel surfent déjà avec démagogie les politiques, qui appellent à renforcer nos frontières pour faire face aux réfugiés. D’une part, on ne réalise pas qu’une partie des migrants qui arrivent en Europe aujourd’hui sont des migrants climatiques. Je pense par exemple à ceux d’Afrique de l’Ouest issus de zones rurales qui n’arrivent plus à tirer un revenu suffisant de leurs cultures qui pâtissent des sécheresses. D’autre part, on ne réalise pas non plus qu’une partie de la population française et européenne se déplace déjà et va se déplacer dans les années à venir pour des raisons environnementales. Un sondage Ipsos effectué fin 2023 souligne que 26 % des Français pensent qu’ils devront quitter leur domicile au cours des dix prochaines années en raison des impacts du changement climatique. Au moins un quart de la population s’imagine donc en situation de migration climatique.

Comment expliquer cette contradiction ?

F.G. : Le terme de migrant et même de migrant climatique dans les pays industrialisés est considéré comme un terme relativement infamant. Comme si cette notion devait être réservée – je le dis un peu cash – à des noirs et à des Arabes. Comme si, ça ne s’appliquait pas aux blancs et aux Européens. Comme si ces derniers ne pouvaient jamais se retrouver à être désignés comme migrants. Les faits démontrent le contraire : je songe à celles et ceux déplacés par les incendies à l’été 2022 en France, par les inondations en Belgique et en Allemagne à l’été 2021, et par l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans, aux Etats-Unis, en 2005.

Magali Talandier : La mise à distance, le déni peut-être aussi, dont parle François Gemenne, nous amène à prendre beaucoup de retard sur le sujet de l’inhabitabilité d’espaces en zones côtières ou de montagne. Certains jouissent encore de transactions immobilières faramineuses alors même que, dans vingt ans, certains de ces lieux n’existeront peut-être plus ! On est témoin des inondations, des vallées qui disparaissent et des habitats emportés. Moi qui travaille beaucoup avec les collectivités locales et les élus, je suis effarée de voir à quel point ce sujet est finalement encore si peu abordé, anticipé, alors que nous sommes pourtant en possession de tous les chiffres et rapports. C’est de l’aveuglement.

A quoi ressemble aujourd’hui la migration climatique en France ?

M.T. : Il y a des départs des villes – jugées trop chaudes, trop violentes – vers des cadres de vie plus agréables. Dans ce cas de figure, on n’emploie pas le terme de migration climatique mais plutôt d’exode urbain. Ce dernier a suscité beaucoup de fantasmes post-Covid : on imaginait les gens fuir précipitamment et en masse les métropoles. Il y a clairement eu une exagération du phénomène : oui, les mouvements de populations des villes vers les campagnes ont augmenté à la suite de l’épidémie, mais pas autant qu’on a bien voulu nous le faire croire. Ce tableau reste encore largement dominé par des migrations locales, communales ou dans un périmètre encore plus restreint. Dans les trois quarts du temps, il est question d’une campagne périurbaine. Mais ce qui est plus intéressant ici, c’est de regarder les signaux faibles. Par exemple, l’augmentation des départs de l’Ile-de-France – bien que la région parisienne reste encore très attractive – vers d’autres régions.

Quelles sont aujourd’hui les régions les plus attractives ?

M.T. : On peut citer la Bretagne et la Normandie. Mais on a encore du mal à faire la part des choses : beaucoup de gens possèdent des résidences multiples, et secondaires. On remarque des flux de capitaux dans ces espaces plus vivables sans que ce soit nécessairement accompagné d’une arrivée massive et d’une installation pérenne. Voilà pourquoi les conséquences sur le territoire d’origine sont peu visibles aussi. Même chose à Grenoble où les espaces de montagne ont été largement concernés par la hausse des transactions immobilières. Il s’agit de lieux et d’une valeur refuge. On y passe deux mois dans l’année quand la ville est sous 50 °C.

Sommes-nous prêts à faire face à des flux de populations plus importants – intérieurs et extérieurs – dans les années à venir ?

F.G. : Je suis frappé par la pauvreté du débat politique et du débat public sur les sujets d’asile et d’immigration en France. Disons les choses : nous sommes dans une logique où les migrants ne sont plus considérés comme des humains. Cela n’incite guère à l’optimisme quant à notre capacité à gérer et anticiper les conséquences du réchauffement climatique. Mais le tableau n’est pas tout noir : l’administration et certaines villes m’ont déjà commandé des rapports pour tenter d’y voir plus clair. Je songe à Paris : la ville souhaite avoir une idée plus globale sur les scénarios d’évolution de la migration et la nécessité d’adapter certaines de ses politiques – en matière de logement et d’urbanisme – en fonction des arrivées et des départs potentiels liés au changement climatique. En supposant que la température augmente de X degrés au Bangladesh, quel impact cela aura-t-il sur les demandes d’asile en France ? De mémoire, on peut s’attendre à une fluctuation entre + 9 % et + 28 % d’arrivées dans la capitale, selon les nationalités, même si cela reste un comportement humain qui – par nature – reste très difficile à prévoir.

M.T. : J’ai travaillé sur la notion de «métropole hospitalière». La ville, ce n’est pas tant d’attirer le «startupper» que d’accueillir ceux qui posent le pied pour la première fois en France, de prendre soin de ceux qui sont là, et de s’intéresser à ceux qui restent, qui ne peuvent pas partir ni de façon définitive, ni de façon temporaire. Tout un registre de l’action publique locale est aujourd’hui à réinventer.

Sur quoi doit-on se concentrer en priorité ?

F.G. : Chez nous, il y a d’abord un enjeu de protection des populations qui habitent dans les zones les plus à risque. Cela implique – dans certains cas – de relocaliser à l’intérieur des terres, d’arrêter de construire en zones inondables et la mise en œuvre des politiques d’aménagement du territoire. Concernant les pays du Sud, si on change de paradigme culturel et qu’on s’évertue à voir la migration comme une stratégie d’adaptation, on peut s’organiser et coopérer au niveau international – en s’appuyant notamment sur la «Platform on Disaster Displacement» (1), et ainsi imaginer des migrations pendulaires ou saisonnières. Cela peut permettre à des familles rurales touchées par une saison sèche ou une saison des pluies très abondantes de trouver un revenu de complément, ailleurs, dans un autre secteur économique. Cela allège aussi en parallèle la pression démographique sur des ressources naturelles qui se raréfient, l’eau et les terres.

M.T. : Ces solutions de migrations saisonnières dont parle François Gemenne sont des réflexions que l’on pourrait aussi avoir chez nous. Ça ne serait pas la première fois que les pays du Sud nous inspirent ! On pourrait imaginer une politique de l’aménagement qui ne soit pas «fixiste», à l’ancienne, façon «je construis, je déconstruis, je pose un ouvrage», mais plutôt un aménagement fluide, adaptatif.

A quoi pensez-vous ?

M.T. : On a du mal à imaginer un Etat grand régulateur qui déplace les populations et préempte des bâtiments en disant «tiens, pendant deux mois votre logement sera là !» En revanche, on pourrait y réfléchir en termes d’activité économique. Aujourd’hui, certaines entreprises sélectionnent leurs chantiers en fonction des températures. On va travailler dans un espace chaud l’hiver et investir des endroits plus frais l’été. Ce sont des choses que l’on voit déjà se mettre en place et que les collectivités locales pourraient accompagner. Beaucoup d’infrastructures sont libres plusieurs mois dans l’année, il faut jouer avec cela. Et puis, nous n’avons pas le choix : il va falloir apporter une réponse aux plus vulnérables.

Migrer rejoint aussi la question sociale…

F.G. : Le changement climatique est un «exacerbateur» d’inégalités. Et il est important de rappeler l’immobilité forcée. Il s’agit des personnes qui sont en incapacité de migrer, voire d’évacuer lors d’une catastrophe parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Parce qu’ils n’ont pas de voiture, parce qu’ils sont trop âgés ou trop malades, ou encore pas assez informés sur où aller. C’est quelque chose qu’on observe dans toutes les études de terrain à la fois dans les pays du Sud et dans les pays industrialisés. Ceux qui vont pouvoir se déplacer sont les plus jeunes, les plus riches, les plus connectés, les plus éduqués. On oublie que le changement climatique transforme aussi la contrainte à la migration.

M.T. : Grenoble, comme d’autres villes françaises, connaît des épisodes de canicules de plus en plus intenses et longs. Certains bénéficient d’un logement mieux isolé, ou ont la chance de pouvoir partir en montagne, dans des zones plus tempérées. Mais d’autres n’ont aucun moyen de s’en prémunir. Et les réponses apportées par les politiques publiques sont aujourd’hui en deçà des violences perçues. Pour preuve : quand on voit qu’au moment des canicules, des villes proposent aux familles l’accès gratuit aux bibliothèques et aux musées climatisés, on se dit que c’est sous-adapté. C’est un peu le pansement sur une jambe de bois.

(1) La Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes est une organisation internationale basée à Genève

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