Annoncés comme des Jeux durables, l’organisation des futurs Jeux olympiques d’hiver de 2030 risque de se heurter à des défis écologiques et pose la question de l’avenir des loisirs de montagne.

Novembre 2023. Les habitants des régions Auvergne Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca) apprennent qu’ils ont de grandes chances de voir se dérouler chez eux les Jeux olympiques d’hiver de 2030. L’heure est à la joie dans les stations savoyardes. Le Comité international olympique (CIO) a clairement laissé entendre que leur candidature supplanterait celles de la Suède et de la Suisse.

Les arguments développés par les présidents des régions françaises semblent donc avoir convaincu. Ils consistent en deux mots  : sobriété et écologie. De nombreux équipements construits lors des précédents Jeux seront recyclés. Le budget annoncé est de 1,9 milliard d’euros, très inférieur à celui des Jeux de Sotchi qui, avec 37 milliards d’euros, avaient été les plus chers de l’histoire.

Mais si, sur le papier, le pari semble jouable, le plus dur reste à faire. Car la montagne de 2030 n’est plus celle de 1968. À l’époque, le réchauffement climatique n’était pas encore un sujet. Les sports d’hiver étaient en plein essor. Et ils s’inscrivaient dans une dynamique plus large. « On était en pleines Trente Glorieuses, se souvient Guillaume Desmurs, auteur d’Une histoire des stations de sports d’hiver (Glénat, 2022). On construisait des autoroutes, bientôt des centrales nucléaires, des usines… Et donc, des villes nouvelles à la montagne. Les Jeux olympiques de 68 ont été une publicité fantastique pour le ski, ajoute-t-il. À l’époque, il intéressait tous les Français. » Marielle Goitschel, Isabelle Mir, Patrick Pera notamment, sans oublier le triplé gagnant de Jean-Claude Killy… Les champions français sont alors légion.

Les Jeux seront aussi un accélérateur d’aménagements. Grenoble a bénéficié « d’une gare moderne, de rocades, de viaducs, d’un aéroport, d’une Maison de la culture, d’une grande Poste et de nouveaux quartiers dont l’ancien village olympique », se souvient Wladimir Andreff, le président du Conseil scientifique de l’Observatoire national du sport. Même constat en 1992 pour les Jeux d’Albertville. Auparavant, se rendre à Moutiers était un calvaire pour les automobilistes. La vallée était enclavée. La construction d’une deux fois deux voies sur 27 kilomètres va tout changer.

Des athlètes du monde entier défilent lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques d'hiver de 1968, le 6 janvier 1968 à Grenoble (Alpes françaises). (STAFF / AFP) Des athlètes du monde entier défilent lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques d'hiver de 1968, le 6 janvier 1968 à Grenoble (Alpes françaises). (STAFF / AFP)

La sous-préfecture d’Albertville, troisième ville de Savoie, va quant à elle bénéficier d’une gare TGV qui la placera à moins de cinq heures de Paris, ainsi que de toutes sortes de nouvelles constructions. « Le centre-ville était de la vieille époque, se souvient Albert Gibello, l’ancien maire d’Albertville. On a construit une médiathèque, des cinémas, un théâtre, une station d’épuration, mais aussi le bâtiment de la Sécurité sociale, de l’ANPE, un commissariat de police et des logements sociaux… Alors que nous avions 10 à 15 ans de retard, on a subitement pris 15 à 20 ans d’avance. »

Les stations, elles aussi, profitent de ce dynamisme. Deux tremplins à Courchevel, une patinoire à Pralognan, une piste de Bobsleigh à La Plagne… Les équipements se multiplient. Une nouvelle télécabine entre Brides-les-Bains et Méribel va donner accès à 600 kilomètres de pistes sur un immense domaine skiable relié par 200 remontées mécaniques. « Il est considéré comme le plus grand du monde, relève Guillaume Desmurs. Nulle part ailleurs, nous n’avons des stations aussi accessibles, aussi grandes et aussi bien équipées. »

Mais la médaille a un revers. Les Jeux vont coûter beaucoup plus cher que prévu. Le budget initial était de trois milliards de francs. Il sera finalement de 12 milliards. Une grande partie du déficit sera absorbé par l’État, mais l’autre sera prise en charge par les communes. La taxe d’habitation d’Albertville va augmenter de 40%. Et il faudra attendre presque 20 ans pour amortir la dette. Aujourd’hui encore, les skieurs en Savoie payent une petite taxe sur leur forfait qui finance encore la voie rapide mise en service en 1991 entre Albertville et Moutiers.

Certes, beaucoup d’équipements construits fonctionnent toujours. Les remontées mécaniques génèrent plus d’un milliard d’euros de retombées chaque année. Mais « on a eu un impact économique négatif », estime pour sa part Eric Adamkiewicz, l’ancien directeur des sports de la ville de Grenoble, aujourd’hui maître de conférences en économie du sport. Il en veut pour preuve des effets induits qu’on ne prend pas toujours en compte  : « Pour construire la route, beaucoup de gens sont venus s’implanter. Mais une partie de cette population est restée. Elle a accru le nombre de personnes au chômage sur le territoire. »

Brides-les-Bains, 611 habitants, qui avait accueilli le village olympique des Jeux d’Albertville, a particulièrement souffert. « La commune s’est retrouvée avec des centaines de logements sur un territoire qui perd des habitants depuis 1990 », constate Delphine Larat, porte-parole d’une commission d’évaluation indépendante sur la transparence et les impacts de grands évènements sportifs internationaux. Brides-les-Bains échappera de peu à la faillite grâce à la pugnacité de l’ancien sénateur de la Savoie, Michel Barnier, co-organisateur des Jeux de 1992, qui plaidera sa cause auprès des banques.

Michel Barnier (à gauche), président du Conseil régional de Savoie et Jean-Claude Killy (à droite), ancien médaillé d'or du ski, lors de l'annonce des sites des jeux d'hiver de 1992. (THIERRY ORBAN / SYGMA) Michel Barnier (à gauche), président du Conseil régional de Savoie et Jean-Claude Killy (à droite), ancien médaillé d'or du ski, lors de l'annonce des sites des jeux d'hiver de 1992. (THIERRY ORBAN / SYGMA)

Il s’est aussi posé la question de la reconversion de certains équipements. Certes, à Albertville, « la patinoire a été transformée. Elle sert aux scolaires et comme salle de spectacle », précise l’ancien maire Albert Gibello. Mais Pralognan envisage de se séparer de son ancienne patinoire de curling aujourd’hui toujours déficitaire. Le tremplin de saut à ski de Saint Nizier-du-Moucherotte dans l’Isère, utilisé en 1968, il est aujourd’hui à l’abandon. Et la piste de bobsleigh de La Plagne (construite pour les Jeux de 1992) reste très onéreuse. Toute son histoire a été chaotique. « C’est Matra qui a réalisé le tracé, rappelle Eric Adamkiewicz. Il a fallu buser deux torrents de montagne dans une zone d’éboulis. On avait une faille sismique à la verticale. Il a fallu créer un système antisismique et anti-secousses pour assurer la sécurité de la piste. » De quoi donner des sueurs froides aux architectes.

À cela s’ajoute le choix de l’ammoniac pour assurer le refroidissement de la glace. Un produit hautement toxique. On distribuera des masques à gaz aux habitants. Or, « il y avait des fuites, rappelle Delphine Larat. Des arrêtés ont été pris pour interdire l’accès au public du fait de sa dangerosité. La piste de bobsleigh était classée ‘établissements industriels Seveso’. »

Les Françaises Margot Boch et Carla Senechal à la coupe du monde de bobsleigh à La Plagne, le 11 janvier 2020. (PHOTOPQR / LE DAUPHINE / SYLVAIN MUSCIO / MAXPPP) Les Françaises Margot Boch et Carla Senechal à la coupe du monde de bobsleigh à La Plagne, le 11 janvier 2020. (PHOTOPQR / LE DAUPHINE / SYLVAIN MUSCIO / MAXPPP)

En 2007, l’ammoniac sera remplacé par de l’eau glycolée (antigel), mais les travaux coûteront six millions d’euros. Le coût final de la piste sera de 240 millions d’euros (il était initialement de 70 millions). Et aujourd’hui encore, son entretien revient à 500  000 euros par an. « Sa construction a coûté effectivement plus cher que prévu. Et après  ? » , se défend Michel Barnier, aujourd’hui membre de la commission Héritage et durabilité du Comité international olympique. « Notre responsabilité était que cette piste continue à être utilisée et à servir aux gens qui font du bobsleigh et à des touristes. Et c’est le cas aujourd’hui. »

Quoi qu’il en soit, cet équipement sera réutilisé lors des JO de 2030. Car le mantra affiché par leurs organisateurs (les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Paca) se résume en deux mots  : sobriété et écologie. Les temps ont en effet changé. Plus question de peser sur les finances publiques. Et l’empreinte carbone de l’événement devra être limitée. D’où la réutilisation d’équipements construits lors des précédents Jeux.

Mais respecter ces engagements ne sera pas simple. D’abord, il va tout de même falloir construire. La ville de Nice s’est déjà portée candidate à l’accueil de deux nouvelles patinoires. Ensuite, le recyclage de certains équipements va, malgré tout, provoquer des nuisances. C’est le cas du grand tremplin du Praz à Courchevel qui est aujourd’hui obsolète. Il va falloir prolonger sa piste de réception, ce qui devrait coûter 20 millions d’euros. « On ajoute huit mètres de distance à une butte énorme, s’inquiète Antoine Pin, le directeur de l’ONG Protect Our Winters. Cela veut dire  : ramener de la terre et de la matière. Huit mètres, ça peut paraître peu, mais ça commence à faire un chantier conséquent. »

Un skieur-ouvreur se prépare à effectuer un saut, le 14 août 2003 sur le tremplin de Courchevel, lors de l'étape française du Grand Prix de ski d'été. (JEAN-PIERRE CLATOT / AFP) Un skieur-ouvreur se prépare à effectuer un saut, le 14 août 2003 sur le tremplin de Courchevel, lors de l'étape française du Grand Prix de ski d'été. (JEAN-PIERRE CLATOT / AFP)

L’autre question qui se posera est celle de la pollution due aux transports. Autant en 1992, des milliers de cars ont pu circuler dans les vallées et sur les routes de montagne sans que cela choque, autant aujourd’hui les émissions de carbone sont devenues un enjeu majeur. Or les Jeux de 2030 seront étalés sur deux grandes régions, depuis le littoral méditerranéen jusqu’au lac Léman, alors qu’il existe encore des goulots d’étranglement. « De Gap à Briançon, vous passez plusieurs fois dans des gorges, constate Delphine Larat. Vous roulez le long de la Durance, avec un passage après l’Argentière-la-Bessée qui ressemble à la montée d’un petit col. Pour réaliser une deux fois deux voies ici, il faudrait des viaducs, creuser dans la roche, ce qui coûterait très cher. Et pour l’environnement, et pour les finances publiques. »

Plus largement, les Jeux de 2030 posent la question de la viabilité du modèle économique qui est celui des sports d’hiver. Pour l’heure, les stations continuent de construire à tout va et de viser une clientèle de luxe, comme si leur ressource en skieurs était inépuisable. Un rapport de la Cour des comptes rendu en février dernier et intitulé Les stations de montagne face au changement climatique , pointait pourtant que seuls 8% de la population pouvait désormais s’offrir des vacances à la neige. « On a des ‘lits froids’ qui sont utilisés moins de trois semaines par an, relève le maître de conférences en économie du sport, Eric Adamkiewicz. Aucune station n’arrive à un taux de remplissage de 100%. »

Pour limiter une frénésie de construction qui se poursuit malgré tout, c’est la justice qui joue désormais parfois un rôle de frein. « Le tribunal administratif de Grenoble puis le Conseil d’État ont stoppé la construction d’une réserve collinaire prévue à La Clusaz, rappelle le spécialiste de la montagne, Guillaume Desmurs. Le tribunal administratif de Grenoble a annulé un projet qui prévoyait en Maurienne la construction de 22 800 nouveaux lits. Et le tribunal administratif de Grenoble a annulé le Plan local d’urbanisme de l’Alpe d’Huez. »

Le massif des Grandes Rousses en Isère, à L'Alpe D'Huez (altitude : 1860m), le 20 août 2020. (GUIZIOU FRANCK / HEMIS.FR / AFP) Le massif des Grandes Rousses en Isère, à L'Alpe D'Huez (altitude : 1860m), le 20 août 2020. (GUIZIOU FRANCK / HEMIS.FR / AFP)

Certains experts considèrent que le modèle économique qui s’est imposé depuis les années 1960 est d’autant plus fragile aujourd’hui qu’il impose un recours de plus de plus fréquent à la ressource en eau pour alimenter des canons à neige très énergivores. Pour Delphine Larat, « le plus gros héritage que nous ayons des Jeux olympiques, c’est l’enfermement dans un schéma de développement. On assiste à une course aux infrastructures pour essayer de sauver une économie vouée à disparaître à cause du dérèglement climatique et de la crise écologique. »

C’est pourquoi Christophe Lepetit, responsable des études au Centre de droit et d’économie du sport (CDES de Limoges), considère qu’« il va falloir penser d’autres schémas organisationnels, d’autres façons de faire des compétitions, et peut-être d’autres épreuves. Du saut à ski sur gazon artificiel. Ou du patinage artistique sur un autre sol, parce qu’on sait que la glace est difficile à entretenir. » Une thèse que le chercheur développait dans un article de la revue Jurisport en mars dernier. Même si cette reconversion n’est pas pour demain, le rapport de la Cour des comptes publié en février 2024 pointait, quant à lui, qu’avec quatre mois d’activités seulement dans l’année, le modèle actuel était désormais dépassé et insoutenable.

Bibliographie :

Chamonix 24, Grenoble 68, Albertville 92 : Le roman des jeux, Claude Francillon (Glénat)

Les 100 histoires des Jeux Olympiques, Mustapha Kessous (Puf)

Touche pas au Grisbi, Guillaume Desmurs (Editions inverse)

Une histoire des stations de sports d’hiver, Guillaume Desmurs (Glénat)

La neige empoisonnée par l’argent, l’immobilier, la politique…, Danielle Arnaud (Éditions inverse)


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