À Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, deux tours au cœur du célèbre marché aux puces, gangrenées par le trafic de drogue, ont été vidées de leurs habitants en 2021. Un temps promise à la démolition, cette cité des Boute-en-Train construite dans les années 60 sera finalement réhabilitée, faute de moyens, en logements mixtes, et son parking où s’accumulent les épaves de voitures se transformera en ferme urbaine.
Dans cette cité aux 200 logements, on avait créé « toutes les conditions urbaines pour que cela ne fonctionne pas », estime Jérôme Brachet, en charge de l’urbanisme à Saint-Ouen. « Un quartier enclavé, un grand parking en extérieur », propice au trafic, « des voies en impasse : une catastrophe pour l’intervention des policiers », énumère-t-il.
« L’urbanisme des années 1960-1970 a montré ses limites en n’étant pas adapté aux caractéristiques de la délinquance actuelle », analyse Michel Lavaud, directeur territorial de la sécurité de proximité de Seine-Saint-Denis (DTSP 93, qui dépend de la Préfecture de police). Cette architecture, dit-il, a « séparé le flux piéton des véhicules, ainsi les cités en dalle ont permis aux dealers la captation de grands espaces vides ».
Pour faire table rase du passé lucratif du point de deal – aux 20 000 euros de chiffre d’affaires quotidien, selon les estimations policières -, la ville devra s’appuyer sur le Service de prévention opérationnelle (SPO) de la DTSP. Sans son feu vert, pas de permis de construire pour les projets de plus de 70 000 m².
Futur écoquartier, le village des athlètes des Jeux olympiques de Paris 2024, réparti sur Saint-Denis, Saint-Ouen, et L’Île-Saint-Denis, a ainsi dû montrer patte blanche. Analyse de la résistance des matériaux, suppression des buissons ou des portes en verre, éclairage sur détection de mouvement… Les plans ont été scrutés dans le moindre détail.
Dans le cahier des charges du SPO, le hall d’immeuble doit être « un lieu de passage sans que personne ne puisse stagner ». Et les murs en gabions – cubes grillagés emplis de blocs – sont proscrits depuis les émeutes de 2005 et leur « détournement d’usage », les pierres ayant servi de projectiles.
Un trafic flexible
Cette immixtion policière divise. Une fonctionnaire de police confie avoir été « huée » par des étudiants lors d’une intervention à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris.
L’architecte russo-espagnol Manuel Núñez Yanowsky, qui a conçu le grand ensemble des Arènes de Picasso à Noisy-le-Grand, a refusé des aménagements mais aussi l’installation de vidéosurveillance, estimant que cela pouvait « nuire » à son œuvre monumentale.
« Si on espérait régler le trafic, donc des problèmes socio-économiques, juste en rénovant les parties communes ou changer la morphologie des quartiers, on s’est trompé », assure Gwenaëlle Legoullon, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à Lyon III.
Dans les années 1980-1990 est né le mouvement « Banlieue 89 » avec l’idée que « les banlieues aussi ont droit à une certaine qualité architecturale », rappelle l’universitaire. Des barres HLM sont alors détruites au profit d’immeubles plus petits, mieux intégrés au reste de la ville. Dans les années 2000, avec la création de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), un nouveau virage s’opère avec la « résidentialisation » des quartiers.
Mais « le trafic n’a jamais cessé, il s’est adapté au changement d’urbanisme », affirme la chercheuse, pour qui l’habitat social « doit conserver sa vocation d’accueil, première étape à l’intégration à la Nation, contrairement au mirage de la mixité sociale ».
Depuis sa tour, rue Charles Schmidt à Saint-Ouen, Ahmed (prénom modifié) voit défiler sous ses fenêtres « 24h/24 toutes les classes sociales », venues se fournir en cannabis ou cocaïne. « Ce n’est pas parce qu’il y a du trafic qu’il faut démolir », estime le père de famille, pour qui « cela ne résout rien ».
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